L'histoire se déroule ce matin. Elle n'a pour but que d'exposer un cas, probablement "non statistiquement significatif", illustrant la permanence de soin à la française. Le cumul et l'interchangeabilité des compétences et des incohérences.
Je suis en "repos" le jeudi. Il est neuf heures cinq.
Ma remplaçante, avec qui je bois le café en évoquant les cas de jeudi passé, est appelée pour ce qui semble être un cas de détresse respiratoire aigue d'un nourrisson de sept mois.
Le nom et l'adresse évoquent le cas d'un bébé pour lequel, un autre jeudi, elle a été appelée en urgence aussi, au décours d'une convulsion fébrile. Comme je la sens affolée, et qu'à plus de fous ( à faire ce métier ) plus on rit, je lui demande si elle veut bien de mon escorte. Elle ne dit pas non.
L'enfant est gardé par une nourrice, qui nous reçoit affolée. Dans le couloir, nous trouvons une boite plastique avec le nom d'un pédiatre, son téléphone et une série d'ampoules de Valium avec canules rectales et dose à injecter.
Bébé apyrétique. Torpeur, mydriase peu réactive, mais pas de cyanose. La nourrice nous dit qu'elle l'a vu bleuir voici dix minutes. Visiblement le bébé revient à lui.
Elle nous a appelé parce que le pédiatre, distant de 7 km, avait son téléphone qui sonnait occupé. Et la nourrice est bien contente de nous avoir trouvés, arrivant à "neuf heures cinq + Sept minutes".
Appel au samu Toulouse, neuf heures vingt. Premier régulateur, déjà en voiture, qui dit qu'il nous rappelle. Neuf heures trente, je répète l'histoire au deuxième régulateur, qui précise que le cas "mérite d'envoyer une équipe".
J' injecte, avec son accord et en attendant, 0,7 ml de Valium rectal. La montre tourne.
Il est dix heures, je dis à ma remplaçante, qu'il me faudra payer ce soir, de retourner au cabinet pour les consultations. J'essaierai de me faire raccompagner au bureau par la mère ou la nourrice.
J'inspecte le carnet de santé . Des trois séjours à l'hopital, que me raconte la nounou, aucun n'est relaté. A sept mois, cet enfant "toujours malade", n' a fait qu'un vaccin en octobre 2002. BCG et ROR non faits. Le mot dépakine est écrit à la hate sur une page numéro 16, rien de plus. Courbes de croissances non faites.
Entre temps le père appelle chez la nourrice, et c'est lui qui me fait gentiment le compte rendu : "scanner, EEG, prise de sang,fond d'oeil etc...." Un vrai carnet de santé, le papa.
Puis la maman du bébé arrive, en larme. Elle a fait trente bornes de son boulot, et elle coiffe le Samu de dix minutes.
Les pédiatres arrivent en ambulance.La médecin pédiatre arrive à dix heures quarante, ne se présente pas, ce qui la rend peu différentiable de ses deux "portes - bagages". 100 minutes se sont passées depuis mon appel aux secours.
J'essaie de m'interposer dans le dialogue " samu- maman", car la pédiatre essaie, à tous prix, de soutirer à la mère les renseignements que moi seul serait en état de donner . Rien à faire.
La pédiatre n'en a rien à foutre du bon con qui est là depuis cent vingt minutes à gérer les secours.
Là j'explose, et m'interpose pour expliquer à cette dame que je voudrais faire "exploiter" les quelques données que j'ai pu recueillir au détriment de mon temps.
Le bébé est "conditionné", et je fais asseoir la mère deux minutes, en lui expliquant que, comme cela fait deux fois que nous intervenons en situation critique, ma remplaçante et moi, il serait bon que le pédiatre nous intègre à l'équipe, ou au moins remplisse le carnet.
Je sais que je suis en train d'attaquer le "maillon faible" de l'histoire, la mère en pleurs, mais je ne voudrais pas avoir à renouveller la même expérience "d'injecte valium" génériqué.
Alors la mère se lache : "je sais que vous êtes dévoué, docteur, mais à l'hopital ils ont dit que c' était préferable qu'elle soit suivie par un pédiatre" . Et "vlan" pour le traitre- à- Zepam .
Là je me dis qu'il est quand même couillon qu'il n'y ait plus un neuneu d'externe à l'hopital pour remplir les carnets de jonction . Rien, il n'y a plus rien que des machines à pognon.
EEG, dépakinémie, IRM oui, mais un stylo et un scribe, il n'y a plus. Le "poids de cent heures" pour les machines, et le fardeau de trente cinq pour les hommes.
Le bébé est dans le couloir, sur un brancard. La chef samuse, qui entre temps, a reçu sur son portable un appel pour un congrès où elle pourra pas aller, a tout de même eu le temps de balancer à la maman, en court circutant ma présence, que sa fille était "vraiment" épileptique. La mère repleure. Pour le samu psy, on est en train de recruter une cliente en "live". Ca chome pas , dans l'urgence.
Elle veut me faire son chèque la maman. La pédiatre vient me voir, "3615 code M. G- existe" ( à nouveau) . Un peu génée de voir que je suis payé à la tâche, et elle au mois.
" Vous n'auriez pas un dextro, me dit-elle nous on l'a laissé avec l'autre équipe".
La nounou et moi on se regarde. Notre responsabilité est "dégagée". Il est onze heures.
Ma remplaçante a pu soigner, pendant ce temps, les mômes qui avaient rendez-vous au cabinet. Avec un peu de bol, pour les "neuf mois" , elle aura cinq euros de plus, la pédiatrisation du pauvre.
Je crois qu'autrement, si je n' avais pas pu "remplacer ma remplaçante", les parents qui poireautaient chez moi ce matin là, seraient allé chez le pédiatre, "il n'est qu'à 7 km, et il ne fait pas les urgences à domicile......"
Le scandale AZF, il aura fallu dix huit mois pour comprendre que trois mille personnes étaient en danger d'incompétence.
L'"usine à santé", dépot "urgences" est en train de péter : SEVESO degré 4. Et l'emmerdant , c'est qu'il y a soixante millions de riverains à qui on ne dit rien.....
"vous n'auriez pas un dextro- "Christ", ou, à tout hasard, " y - aurait -il un missel dans la salle ?"
Dr Bruno Lopez - Fonsorbes