En septembre 2001, un canton rural de Haute Garonne, comme bien d'autres, se réunissait autour du thème de la "grève" des gardes. La chose paraissait originale, et surtout tabou pour la plupart des participants.
Le monde médical local parcourait, jusqu' alors, de long en large, et de semaine en week-end, le territoire des diarrhées et des rhinos, par habitude, avec trois tours concurrents pour le même site.
Vieilles inimitiés, arrangements de façade et reconduction d'habitudes ramenaient inéluctablement à cette saturation artificielle du territoire.
En janvier 2002, les mêmes, la mine un peu plus reposée, commençaient à décrisper les mâchoires et à se reparler. Rien de nouveau sur le front des "négos". Il fallait tenir le siège de la grève.
Juin 2002, les vingt euros en poche, les "qu'est- ce qu'on fait maintenant" ( les 20 euros en poche ) se réunirent à nouveau. L'unanimité sur la reprise du travail montra sa première brèche. Les uns émettaient des réserves, d'autres des conditions.
Août 2002, les mêmes se réunirent à nouveau pour définir un " arrangement" avec la régulation . Les années de complaisance, communément admise et pratiquée par tous, allaient trouver résolution par ce mot "magique" de lé régulation. Nous agrandirions certes les secteurs, même si cela aboutissait à des distances médicalement irresponsables, nous serions exemptés des appels "graves" par big brother perfuseur, et délesté des appels inconséquents par big brother modérateur. Nous devenions un département "pilote" admiré ( ? ) de tous, surtout des "connaisseurs de bons petits soldats".
Dans cette nouvelle idylle entre les beaux hospitaliers et les gentils libéraux apparut vite la "ligne de fracture" idéologique : le 15 acceptait bien de prendre pour lui les cas urgents, les vrais, mais ne gardait pas véritablement dans ses filets tout le "petit poisson", la fièvre , la douleur remboursée, la diarrhée. Que faisait le régulateur ? : il nous renvoyait NOTRE merde, considérant que l'océan généraliste était là, avant tout, pour absorber les déchets du système. La chose fut vite évidente, mais ce qu'il nous restait de fierté fut vite absorbé par l' adoucissement des règles d'esclavage.
Au bout de trois mois d'une expérience mi -figue, mi -raisin, big brother hospitalier nous expliqua que son 15 trouvait notre attitude très pertinente, mais que, faute de moyens, il se devait de l'interrompre.
La mise en place de leur trente cinq heures, "désolé", ne pouvait pas, à l'évidence, soulager nos soixante. Ils avaient "leur" merde, ils nous renvoyaient la notre ( et celle de nos malades ). La claque que l'on n' attendait pas, mais qui fut la chose la meilleure qu'il put nous arriver.
Hier soir, le groupe réuni , qui comportait, voici 18 mois, un "gréviste définitif" pour 21 sacerdotaux, en est venu à dix ne souhaitant plus du tout faire les nuits. Les langues se sont déliées. Le mot "fatigue" a été prononcé, avec sincérité. Tout a explosé sereinement, en silence, alors que le maintien du sacerdoce n'avait suscité que des cris. De pilotes de la contrainte admise , nous devenons pilotes de l'insoumission tranquille.
Monsieur Descours peut déposer son rapport. La plupart d'entre nous ont déposé les armes. La garde n'est plus une "citation" à l'honneur, c'est une balafre pour vieux soldats en guenilles.
Imaginer de travailler bien le jour au service de la santé devient une "fronde" inscrite dans les visages et les attitudes.
Les généralistes d'ici ou d'ailleurs y viendront tous, "sacerdotaux" ou tard. Ils veulent redevenir, ou demeurer, "docteurs", ce qui n'est plus possible avec les gardes.
Ici, il, n'a fallu que 18 mois.
Dr Bruno Lopez - Fonsorbes