Souvenir d’un ehpad . L’infirmier, apparemment épuisé, dort accoudé dans la salle de soin. Au loin des bruits singuliers éclatent à l’identique, tel le popcorn en fin de cuisson. Je lui demande d’où viennent ces bruits. “ oh, ce ne sont que les détecteurs d’humidité, accrochés aux culottes, qui sonnent dans la buanderie”.
Réminiscence d’une salle de soin palliatif. Ma mère vient de mourir au bout de cinq jours d’agonie tranquille. Les deux internes du service me tournent le dos. Une infirmière, elle aussi accoudée et//ou désœuvrée,, me dit : “votre maman est prête, vous pouvez aller rechercher ses affaires dans sa chambre”. Je rêve, je guette un mouvement de sa part
qui la décroche de ses coudes, elle ne m’accompagnera pas.
Lecture anecdotique d’un dossier électronique de gériatrie. “ Votre patient a eu sa dernière selle voici cinq jours, dix heures et trente sept minutes”
L’informatique prend le temps de ne pas agir.
Alors sont-ils assez nombreux les soignants ?
Il semblerait qu’après la semaine de trente cinq heures, poindrait l’idée du “slacker friday”.
Le vendredi paresseux pour que l’équipe du mardi -jeudi et celle du vendredi- dimanche passent encore plus de temps à “tracer, tracer, tracer”( dans ce pays l’incantation triplée vaut pour gage de volonté politique )
La semaine se ferait donc en quatre jours. La présence numérique, la tendance non imaginative à accouder les soignants devant des programmes absurdes de transmission à n’en plus finir, tout est prêt pour la prochaine vague de catastrophe. Encore moins de présence près des lits, autant de morts induites, autant d’imbecillités destinées à figer l’inutile dans un cloud de l’absence au soin réel , un vrai “cloud du lapin”.
La maladie électroniquement transmissible, la “M.E.T” des temps immodérés.
Alors bien sûr, la salle de soin de l’imposture devient lieu de refuge. On y programme la clim à 18, pour avoir un coup de frais. De temps à autre des incursions vers les chambres, aléatoires, au bruit intercalé des sonnettes et… des protections qui sonnent dans la buanderie. Puis un café, une cigarette au portillon, avant de réécrire sur le clavier, juste pour prouver que l’on est revenu.
On veut plus de monde, mais pour quoi faire? La déroute humaine de ces lieux d’imposture serait-t-elle soluble dans l’injection de soignants ?
Non, car il faudra des ordinateurs de plus, pour “transmettre” à plus de gens, à plus de coudes posés dans l’absurdité des missions et la démesure des coûts.
Mais je vous laisse, cela a sonné, quelque part. Il faut que je trace, trace et trace.
Dr Bruno Lopez - Frouzins