C’est une grande tante. Quand je dis grande, c’est par le respect. Elle a commencé à tousser en février. Le radiologue, plein de certitudes, a dit qu’il avait un doute. Le scanner a confirmé les doutes.
Elle a vu l’oncologue, a prêté ses veines et ses cheveux fournis. On lui a dit qu’il fallait se battre. Pourtant sur ses antécédents il était indiqué « anti militariste, depuis 1918. »
Et puis on n’a pas gagné. Pas de médaille. On lui a enlevé son petit bracelet.
Je redoutais pour elle le service des urgences. L’infirmerie d’un front dépassé. On se demandait même si des infirmiers et des docteurs désabusés ne se déguisaient pas en malades, pour éviter le pire.
Et puis des pancartes partout. « Ne pas agresser les soignants, s’il vous plait », et puis cette porte cassée, depuis si longtemps qu’on ne sait plus si c’est une porte.
Le docteur de famille, exceptionnellement absent toutes les nuits. On fait le quinze. Je me bagarre avec l’interne qui nous dit : « c’est bon, envoyez ». On remet un bracelet. On éventre la dernière veine grâce à une petite élève, seule et effrayée, qui va surement abandonner demain.
Je suis en colère. Je n’aime pas qu’on dise de ma tante : « envoyez ». Nous ne sommes pas sur AMAZON , je suis sur « AH MA TANTE ! ». Je surprotège. Autrement, si j’avais continué, on m’aurait envoyé la psychologue du service, ou le vigile. C’est par roulement.
Je glisse au confrère qu’il est un pizzaïolo dévoué, que je le plains, mais que ma tante compte.
On installe les soins palliatifs à la maison. Thermomètre dans l’oreille . Je dis pas tout. Mais la chambre, c’est un hôpital sans les arrêts-maladie, et la porte tient bon.
Ma tante reçoit la morphine, en « si besoin ». Le besoin s’en fait sentir. Je crois qu’elle nous parle de plus en plus souvent de ses amis musiciens. Le six novembre, la clique de ses cinq copains débarque à la maison. Un collègue épatant accélère la perfusion.
Laissez sortir les picadors. Et faites entrer entrer les mariachis.
Dr Bruno Lopez - Toulouse