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Et les scores de l'Allemagne ?

Nos angoisses ont donc le sort et la classification des masques. Il y a eu des masques pour professionnels, des angoisses pour professionnels, puis, désormais, des masques grand public, et des angoisses grand-public, tous lavables et essorables, optionnels ou obligatoires.
Il n?y aura jamais eu autant de jugements sur la mort que ces jours derniers. Marie de Hennezel a fait des petits. Un peu comme si les démarches intimes, et collectives, de ce qui nous fait définir cet « intérim », entre vie et disparition, avaient besoin d?un nouvel en stockage, ou encodage, parallèle au comptage qui nous en est offert tous les soirs, quand la courbe du « moins de malheurs » vient un peu grignoter celle du « plus de tristesse ». « Bonsoir dr Salomon, pouvons -nous avoir les scores de l?Allemagne ? » A chaque soir les condamnés à mort, et, à côté, les condamnés à vie.
Jean Giono, dans une interview, expliquait sa non- difficulté envers la mort. Il la jugeait, même, plus nécessaire que l?horrible perspective de l?éternité. En revanche il en voulait énormément à la souffrance, oiseau annonciateur de mauvais fonctionnement. Il se demandait, révolté, pourquoi cet animal de mauvais augure, n?avait rien d?autre à faire que de demeurer obstinément, une fois accomplie la mission d?avoir éveillé le destinataire à son déclin inéluctable.
Montaigne, lui, considérait le bien-être comme simple et délicieuse absence de mal-être. Et Epicure soulignait que la mort n?était pas du domaine des vivants, puisqu?ils n?étaient pas morts, ni de celui des morts, probables abonnés absents, éternellement mis hors- jeu de la souffrance.
Les « entre- vieux », que nous sommes, désormais terrorisés de voir nos vieilles mamies et papis mourir dans beaucoup de souffrances, tolèrent mal que ces lieux de mort lente (et assumée) qu?étaient les ehpad (2 ans et sept mois de cohabitation avec le vide) soient devenus un piège rapide, et grand lieu d?incohérence et d?inconséquence improvisées. Parce que nos vieux qui meurent à la pelle nous évoquent tout ce qu?ils ont pu faire de bien, ou de « non-mal » dans leur vie mais ils hurlent en silence, qu?en aucun cas, en aucun cas, ils ne méritent de partir « comme ça ». Leur nid douillet (ou plutôt mouillé hélas) les voit partir (.. ou pas) pour un hôpital, qu?ils n?ont pas plus demandé que leur ehpad. Les survivants de l?ehpad à l?hôpital et les survivants de l?hôpital en ehpad.
Regarder les autres mourir, ce n?est pas seulement leur survivre, ce qui est légitime. Regarder les autres mourir dans la souffrance est déjà plus insupportablement anxiogène. Mais pire encore, l?insupportable est, pour les bons vivants que nous sommes, la perspective de finir, nous aussi, un jour, comme eux, en mourants de souffrance.



Dr Bruno Lopez - Frouzins


Derniére mise à jour : 27/04/20

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