Lorsque Boris Cyrulnik a réinvesti le terme de résilience à propos des enfants des camps de la mort, je ne suis pas sûr qu?il ait imaginé qu?un jour ce même concept puisse être associé à un effort militaire, tel qu?il a été proposé à Mulhouse par le président.
Ce soir le ministre de la santé a lui aussi franchi le pas, il a demandé que nos hôpitaux, à l?avenir, fassent eux aussi preuve de « résilience ». On peut penser que le mot devienne à la mode. Qu?il devienne la chloroquine des études en double bornés.
On peut surtout le redouter.
Outre le fait que la résilience ne prévient , ni n?anticipe, les catastrophes, elle correspond surtout à un retour à l?état antérieur, à une capacité des formes à retrouver leur structure d?origine.
Or devant l?état piteux de nos hôpitaux pré-covid, de nos ehpads post mortem, de nos académies savantes à vérité réversible, est-ce que la « résilience », ne serait pas, à demi-mot, ou dans le subconscient, l?évocation d?un retour à l?état préexistant ? UN « en même temps » du « plus jamais-ça » pacsé avec « le rien ne change » ?
On aura donc appris à « upgrader » les lits, à refaire travailler les gens « formidables » soixante heures de rang, tant ils sont formidables. A tricoter des masques, laissant les responsables détricoter le bon sens, s?en laver le soir et le remettre en place le lendemain dans de nouvelles consignes.
Puis on se dira, inéluctablement que la crise est passée, que la fonction corona sur les smartphones étant appliquée, il faudra juste cocher l?option « covid » sur la liste des tâches de l?infirmière, épuisée pour ses deux étages.
Et c?est ainsi que nos bons citoyens résilients feront tourner plus vite les plateaux techniques, comme au bon temps de l?héroïsme. Car il faudra aller vite, plus vite encore quand les infarctus, les cancéreux et les dépressifs reprendront, à bout de résilience, leur souffrance antérieure. Vite les rotations de lit, vite les expulsions de vieux à trois heures du matin pour gagner l?occupation d?un lit !
Les profs, eux, corrigeront les copies au mois d?aout, résilients comme ils sont, héroïques comme ils devront l?être. Les livreurs de pizza, résilients, seront heureux de retrouver leurs courses.
Imaginons alors que « vigilance », « résistance » soient des mots adaptés à la lutte contre les fléaux en cours. Pour mieux les éviter dans l?avenir, et non pas pour figer les malheurs à venir dans l?obstination sans remise en question.
Car exalter, en plein malheur, en pleine tempête, nos capacités à retrouver des états antérieurs de rigidité, d?inflexibilité, en mésusant du mot résilience, est-ce bien résilient ?
Dr Bruno Lopez - Toulouse