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Traité d' Agnès-thésiologie( 1)

Depuis juin j?ai une carte plastifiée, la prise en charge à 100% pour une longue maladie oncologique. Cette carte me donne le droit de bénéficier de la gratuité des soins. Rien que pour cela je devrais me taire de gratitude. Tomber malade, c?est un peu avoir une mauvaise carte qui s?abat sur vous. Alors la ranger au milieu des cartes de réduction au supermarché, ou chez la coiffeuse, c?est un peu malaisé, parfois. Les gens devraient mourir « suite à un rejet de carte oncologique ». Ça ferait mieux que tous ces « collègues de front » emportés tous les jours, et dénoncés au poste, « suite à un cancer ». Imaginez qu?à chaque fois qu?un type meurt, on nous annonce, on nous précise qu?il était moustachu. Ou « des suites de moustache ». Voilà, c?est dit. Philippe Martinez, tu peux vite aller te raser !

Il nous a été récemment promis un « ré-enchantement » du monde hospitalier. J?y ai probablement accédé trop tôt la semaine dernière pour le réaliser complètement. Cependant, et afin de ne pas passer pour un être ingrat, et finalement critique, je me permets de poser ma contribution à ce ré-enchantement, probablement trop frétillant pour se laisser déjà déguster. C?est la contribution d?un médecin touché par la maladie, et devant accélérer sa mise à la retraite à points (mais de suture).

J?ai 63 ans. L?hôpital, qui m?a pris en charge, avait été inauguré par Mme Simone Veil. Moi, en 1980, j?étais étudiant, voulais sortir de l?adolescence en épandant le bien, et le savoir au service des patients. Désormais, comme dans toutes les zones enchantées (ou en voie de l?être), le bien se dilue, les savoirs se complexifient, et ?.les clients se sentent un peu malades.
Les infirmières de l?époque couraient déjà, mais ce n?était pas comme maintenant, nous avions le temps de leur sourire, et, je crois bien, elles, de s?en apercevoir, mais sans s?en indigner.
C?était déjà une époque de lutte des classes, et s?il soufflait des airs de fronde, de rébellion, c?était avec moins de colère, et plus de fougue. Moins de brutalité, et plus d?espoir.

Mon récit sera dédié à tous les brancardiers du monde, ces hommes qui savent man?uvrer comme pas deux, qui connaissent la distance à parcourir (pour l?autre), et qui surtout, par leur connaissance du terrain, savent en un temps record finir leur mission (vers l?autre). Qu?il me soit cependant permis de prier au non-remplacement des hommes de couloir par des robots récupérés chez George Lucas et permettant, qu?à chaque rotation de tourelle de D2R2, un point de moins de retraite soit alloué aux hommes.

Un hommage appuyé sera aussi rendu à l?interne, qui a failli, faute de temps me dire au revoir à ma sortie, et que j?ai juste vue signer mes prescriptions en s?appuyant sur un mur. Tant que les hôpitaux auront des murs, les malades auront des ordonnances de sortie.

Et je terminerai cette introduction par une annonce personnelle. On aurait vu un vieux guerrier afghan s?enfuir de l?hôpital, emportant avec lui bracelet code-barre, protocole de prise de tension avec modèle homologué, gestion par SMS des rendez -vous fixés avec deux heures systématiques de retard, temps de transmission et collecte numérique des constantes contrôlés par l? agence régionale de santé. Mes deux brancardiers l?auraient entendu dire « qu?il avait le temps », tandis que nous aurions « les montres ».

Si vous m?entendez, monsieur l?afghan, et vous Mme Agnès, redonnez-nous le temps, et par reconnaissance, nous vous ferons cadeau d'une montre. On en a plein les poignets. Et que ceux qui les remontent tout le temps finissent par être, eux-mêmes, remontés.

Dr Bruno Lopez - Toulouse


Derniére mise à jour : 18/12/19

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