Les docteurs savaient, les docteurs s.a.v
Parvenu à l?âge de la retraite, ou presque, j?hésite un peu à définir le monde de maintenant sans y impliquer l?utopie perdue d?un vertueux atypique.
Les ultimes messages envahisseurs de mon smartphone ne tournent qu?autour de l?«optimisation» de ma clientèle. Les « clients », terme assumé, n?auraient qu?à s?empiler au décours de journées bien remplies. Assurer les sorties d?hôpital, quémander des accès de plus en plus étriqués auprès de confrères spécialisés en cessation de dévouement, et, terme le plus terrible du nouveau contrat, dégager les impétrants des files d?attentes aux urgences par ma simple présence démultipliée.
Nous sommes les dégorgeurs des urgences.
Oh, certes, de nouveaux moyens nous sont donnés. Des dispensaires concoctés par ces mêmes pouvoirs publics qui firent anciennement tout pour nous dégouter, des « maisons médicales » pluri- disciplinaires, jugées et décrétées parfaites, doctrine oblige. Des petites applis téléchargées dans les nouvelles têtes chaque jour, comme autant de chimiothérapies d?un monde meilleur.
Alors on vit poindre l?ennui. Les premiers cas d?usure prématurée chez de jeunes confrères retrouvant la lassitude du routinier là où ils ne voulaient point concéder au sacerdoce du médecin passé.
Puis arrivera probablement l?audit financier de ce nouveau charcutage entre, d?une part, vouloirs irraisonnés (vouloir trouver un soignant impeccable à toute heure du jour, de la nuit et de tous les « tous de suite ») et savoirs déraisonnés (satisfaire le « client » sans plus avoir le temps de l?humain).
Un monde totalement dérégulé. Un Arc de triomphe sanitarisé, avec des pompiers à toute heure, des profanateurs de l?ordre public dépouillé au simple profit de l?ordre intime, frappant sur les médecins, et des cordons sanitaires repoussant les assaillants, traquant les symptômes à grands renforts d?examens complémentaires lacrymogénes, de lanceurs d?alertes diagnostics, misant à dire qu?un client plusieurs fois fouillé au corps est un futur plaignant plaqué au sol par la médecine investigante.
Et c?est ainsi que les savants du quotidien, les savants du simple fait généraliste, acculés par leur e-agenda à la quadrature des heures, et à la ronde des ordinateurs, se transforment en sachants émasculés de leur simple capacité à analyser, échanger puis transmettre.
Le « ils savaient » remplacé par le S.A.V. de l?absurde collectif.
Dr Bruno Lopez - Toulouse