Nous avions à porter les cabinets médicaux, les tabourets médicaux, et la revue médicale. Nous avons désormais, rien que pour nous, « le temps » médical.
Entre 1997 et 2003, notre très libéral ministre de la santé, Jacques Barrot, fixa la barre du départ « volontaire » à la retraite des médecins à cinquante six ans. La population médicale n?était guère différente en nombre de l?actuelle, la densité de population par médecin superposable à celle présente, et la seule idée en tête de tous les corps constitués consistait à « tordre le poignet » des prescripteurs. Il suffirait d?amputer la main dépensière d?au mois deux mille des cent mille praticiens pour redresser les comptes sociaux de la nation.
En 2019, le gouvernement représenté par son porte- parole, mme Sibeth Nadiaye ne veut plus ligoter les mains prescriptrices. Bien au contraire. Aux délicates victimes du désertisme médical, aux mécontents des radio-crochets devant faire 10 km pour voir un médecin (et 14 pour trouver une machine à laver) les petits enfants de Jacques Barrot nous opposent la sublimation, l?exaltation du « temps médical ». A nos mains innocentées de tout déficit, à nos poignets désormais déliés par un âge de retraite renvoyant au tout jamais, cinq ou sept mille « petites mains » viendraient, à notre place, prendre la tension, peser, mesurer, abreuver l?ordinateur communautaire désormais soulagé du désert. Nous volerions en rangs clairsemés, mais resserrés entre les infirmières, psychologues cliniciennes, ergothérapeutes, secrétaires à tiers-temps et preneurs de tension formés sur le tas (et la TA).
Certains esprits moqueurs pourraient penser que les sottises d?hier ne nourrissent pas essentiellement les éclairs de génie de demain. Que l?idée de créer des hôpitaux de campagne pour désengorger les hôpitaux de la ville n?est qu?un projet métastatique destiné à atrophier la tumeur initiale. Que l?idée d?envoyer du «petit personnel » saupoudrant de mensurations une foule inquiète de porteurs de symptômes divers et de plus en plus variés n?est peut-être pas une si bonne idée.
Mais cela est jouer petit bras. Le pire n?est pas que les improvisations de la surenchère ne se réduisent, au final, qu?en nouveau plan de faillite de la sécurité sociale.
Le pire étant qu?on nous ait inventé le « temps médical », vaste machin que personne, sauf les médecins eux-mêmes, ne sauraient dominer. Rendons aux politiques ce qui revient aux politiques. Accordons-leur du « temps politique », pour les politiciens. Nous, médecins, revendiquons pour nous le plein, le juste usage du « temps médical » ?
Dr Bruno Lopez - Toulouse