Il est moins d?étudiants en médecine s?aventurant en rase campagne que de cinéastes en herbe venant y traiter de la désertification médicale. La France hébétée se demande, de temps à autre, pourquoi le « bon docteur untel » ne trouve pas de remplaçant. Et ce qu?il va advenir de tous ces vieillards qu?il venait visiter jusqu?à pas d?heure, ou après les heures, surtout.
J?ai été ce type plus- que- parfait du curatif, ou participe- passé de l?affectif. J?ai ressenti le bonheur immense de coûter moins cher à la sécu que mes frères spécialistes, ou du moins de le croire. Je me suis cru le « médecin de l?humain », celui qui savait raconter au cardiologue « comment Joseph montait sur son tracteur, ou avait eu son grand -oncle mort à Verdun ». Alors le cardiologue faisait semblant d?apprécier, juste pour que l?anecdoticologue, que j?étais, ne perde pas la face.
J?ai été ce héros, corvéable à toute heure, grisé d?être l?homme attendu, vénéré, comme dans ce dernier reportage visionné hier sur le « bon docteur X ». Il attend, au fond de sa campagne. Il a 68 ans, une jolie maison, une jolie voiture, et sa dame, « qui s?occupe des papiers ». Lui tricote la même ordonnance sur toutes les tables en toile cirée de son joli pays. Elle enregistre sempiternellement le dernier film d?arte, que son mari lui a demandé d?enregistrer, et qu?il verra plus tard. Mais elle ne le fait plus, car il oublie aussitôt.
Et elle qui attend, qui ne parle pas dans le film, tant on a compris que les femmes admirables ne parlent pas, et attendent, dans leur nef, le retour de la « dernière visite », qui, tous comptes faits, sera l?avant dernière, ou la première du début de lendemain. C?est une ancienne visiteuse médicale, bien sûr, qui, un jour, décida qu?il était finalement plus simple d?attendre toute sa vie le même médecin, que tous, un temps donné.
Et puis il y a le remplaçant , qui, après tout, fera chirurgien, et laissera, en fin d?année, tomber le docteur X . Oui mais lui, le docteur X, ne laissera pas tomber ses vieux patients, alors il rempile, malgré le mal à porter sa sacoche. Et la jouissance et la résilience dessinent leur danse macabre, et la dame attend son mari, toujours.
Alors l?écran s?éteint, et trois élus se mettent à débattre sur la « mort des vocationnels ». Le jeune metteur en scène de cette n-ième tragédie médico-sociétale prend à son tour la parole, pour dire que le docteur untel, 69 ans depuis la fin du tournage, « n?a toujours pas trouvé de repreneur ». Et que cela « commence à perturber sa femme. »
Nous admirerons le courage résigné et désigné de toutes ces femmes de héros, et nous savourerons d?un plaisir non dissimulé, le constat que ces mêmes femmes, devenues médecins, ont désormais le génie de devenir des héroïnes à mi-temps, des vocationnelles « enmaisonmédicalisées », certes, mais libérées là où les conjointes molles du passé attendaient leurs héros, immortels jusqu?à la noble, et pathétique, irremplaçabilité.
Dr Bruno Lopez - Toulouse