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Je la revois dans les « opérations commandos » que nous menions tous les deux à l?entrée des nouveaux malheureux. Ceux qui, au terme de vies raccommodées , en arrivaient à ne plus pouvoir ni vivre, ni mourir. Elle était l?infirmière la plus moquée du service. Elle demandait toujours en douce à ses collègues si je faisais bien de supprimer « d?un coup » les deux tiers des médications prescrites à nos vieillards. Elle voyait bien que cela marchait sans encombre, voire même que les choses allaient mieux.
Mais c?était faire affront, tout de même, à ses soumissions du passé. Quand elle passait la moitié de son temps difficile à délivrer les « petites pilules » que je détricotais devant mon ordinateur..
Aussi, elle appelait de chez elle la nuit, pour savoir si la glycémie du 12 était bien surveillée. Elle avait une sacrée opiniâtreté à raccommoder l?inutile à petits renforts d?incohérences. Elle était la « petite main » des gros docteurs affairés. Ceux qui laissent leur moteur tourner en bas du parking , tout en imposant à leur fidèle infirmière le soin de relayer le moins qu?évident, et repartent, la feuille de soin glissant d?impatience sur le fauteuil en cuir de leur berline.
Elle connaissait le bruit de ces berlines, ne s?en demandait plus le sens.
Ses collègues savaient qu?elle n?avait plus d?amant. Que sa boulimie soignante avait évincé son mari, puis tout ce qui n?était pas vache, ou poule. Tout le monde était parti d?elle, moins la souffrance, moins la misère.
On m?a dit qu?elle allait bien. Au premier août elle a pris sa retraite. Des paris mutualistes semblaient parcourir la salle de pause. Il y avait celles qui prétendaient qu?elle continuerait à téléphoner la nuit.
D?autres qu?elle tournerait totalement le dos à cet hôpital qui l?avait envahie.
On me dit aussi qu?elle est revenue ravie dans le service. Elle garde sa petite fille, la nourrit d??ufs de ferme et la perfuse de lait frais. J?étais, à distance, heureux de voir qu?il y a une vie après l?abnégation.
Dr Bruno Lopez - Villeneuve Tolosane
