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La panne des sens

Notre pays va respirer d?une respiration paradoxale. Les dépôts de carburants sont fermés, et les derniers idiots qui ont pris d?assaut les pompes urbaines vont être, pour quelques jours, en défaut de polluer l?hexagone.
Les lycéens bas ardent des cocktails Molotov sur les enfants des manifestants de 68, devenus CRS.

A « mai 68 ! » a succédé le « mes soixante ans ! » . Sous les pavés, plus de plage, des écrans plats ,
c?est tout . La peur de l?avenir, c?est pour la jeunesse la simple trouille de pas pouvoir payer ses abonnements. Au téléphone portable, aux clopes, et à Face Book.

Quand j?ai quitté le libéral, voici un an, je pensais trouver un havre de paix. Je crois que je n?ai pas fait le mauvais choix.

Mes amis du privé bataillaient dur à se coltiner tout le jour des dizaines de patients insupportables. L?humanité avait déserté mes plages de consultation, normal, à dix euros net la séance, je n?avais que le choix de pervertir mes actes.
Je suis devenu médecin du public . Et dans ce monde inquiet, je vois mes anciens amis, un peu jaloux, me traiter de « planqué », de « fonctionnaire » ( ah le vilain mot !) tout simplement parce que je travaille en équipe.
Et que je n?ai qu?un chèque par mois. J?ai, certes, plus d?heures de libres. Celles consacrées à la gestion de mon Urssaf, de mes cahiers de compte ont disparu . Je n?ai plus jamais aucune tentation financière. Par contre mon revenu amputé d?un tiers me laisse un peu de temps pour la frustration. Et? beaucoup pour les études, et la méditation.

Si ce soir je parle de panne des sens, dans un jeu de mot facilitateur, c?est parce que le sens du soin est totalement perverti dans ce pays.
« Gagner vite, pour gagner plus » . Qu?il était moche, mon combat libéral. « Gagner pareil pour en faire moins » , le doux refrain tentant de la fonction publique.

Le taux de pénétration des achats de prescription n?a jamais été aussi fort dans le secteur libéral.
Avant le dépeçage final de la bête « sécu », il semble que tous s?en donnent à c?ur joie. Les cardiologues , les diabétologues, les oncologues n?en peuvent plus de nous rajouter des tas de molécules aussi « socio-toxiques » que néphrotoxiques.
La surenchère en molécules de moins en moins utiles, et de plus en plus risquées n?a jamais culminé à ce point.

A l?inverse, le service public, confronté à ses gabegies, et à ses mauvaises habitudes , n?a plus qu?une frénésie au compteur : appliquer les règles du management à ses serviteurs sans leur brandir d?autre aiguillon que « le chômage en cas d?insuccès ».

Notre système est en panne des sens parce que la voyoucratie de l?apparence rentable a saisi tous les acteurs de santé. Les libéraux se sentent bridés d?une irrépressible envie de se sortir de la crise «  par le haut » , comme leurs confrères banquiers. Les salariés de l?hôpital public se décomposent à se rendre bien compte que le paradis promis n?est plus qu?un maquis de HSPT, ARS et autres T2A.

C?est cette humanité -là qui disparaît. Le grand rêve d?un « système » de santé qui serait déjà un système, et non pas une vaste embrouille, miroir aux alouettes fait de déficits, de restructurations et de franchises pas franches. Mon grand rêve fout le camp.

Si demain les raffineurs des « think tanks » de la santé dégageaient les piquets de grève, si les petits pompistes que nous sommes devenus devaient cesser de délivrer à tous leurs patients cette liqueur saumâtre de la médecine uniformément déshumanisée, nous aurions tous appris de cette panne des sens Pour l?instant nous faisons tous la queue du rationnement étriqué .

Public, privé le combat n?est pas là. D?autres stations, d?autres services plutôt.








Dr Bruno Lopez - TONNEINS


Derniére mise à jour : 18/10/10

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