Je ne m'étais jamais autant aperçu que beaucoup de médecins, parmi ceux que je remplace, se font appeler par leur prénom. Jusque là tout va bien.
Les: "il n'est pas là Bernard ?", ou bien les: " alors, il a pris des vacances , Alphonse ?" s?enchaînent.
Qu'il me soit permis d'avancer deux ou trois hypothèses inédites pour essayer de comprendre cette mixité bien curieuse ( il est très rare que les patients reviennent de chez leur dermato en disant : "Emile m'a cramé trois verrues !").
Souvent j'entends le "prénom d'introduction". Le patient veut me montrer qu'il est bien à l?aise avec son médecin familier, et que, de ce fait, j'ai sûrement intérêt à bien le considérer aussi. Avant de s'asseoir, il me fait implicitement saisir que son médecin est son ami. Cela peut servir. Je ne suis pas le remplaçant du docteur, je suis le raccord d'une union épanouie.
Parfois arrive le "prénom d'horripilation". Si je refuse de prescrire le collyre pour le chien, ou la pilule pour la nièce au travail, je puis entendre le "tant pis, je le demanderai à Jérôme".
Du côté du médecin, j'ai l'impression que ceux qui se sont faits prénomiser d'emblée sont souvent plus esclaves que les autres. Ceux qu'un jour de mon mauvais esprit avaient qualifiés de "médechiens de famille". Ils sont dociles parfois, rebelles rarement, contraints souvent. On a plus de mal à savoir dire non quand on n'est qu'un prénom. Une anecdote : le médecin "copain" qui est parti en vacances aura, c'est dit, droit à une engueulade quand il rentrera, juste pour être parti sans prévenir. C'est ainsi que l'on me cause de Bernard, d' Alphonse, ou de Jérôme....
Ce que je ressens de façon certaine est que l'abandon de ce reliquat de sphère privé ne sert pas beaucoup la relation de respect.
Je pense que l'on peut être très près des gens et garder son préfixe de "docteur".
On a beau avoir un président que l'on a connu petit ( et qui le reste ) on l'appelle "monsieur le président".
Et je me méfierais autant de ceux qui ont le droit de l'appeler "Nicolas", que je donnerais de conseils de prudence à ceux qui ont, ou ont eu le "privilège" de l'appeler ainsi.
Dr Bruno Lopez - Toulouse