"Non, monseigneur, je ne me ferai point dépister, même si j'y gagne quelques jours de vie"
Silence dans l'assemblée.
"Qui a osé dire que le dosage de l'enzyne gloutonne sauvait des vies ? " demanda le roi du l'empire du doute.
"Qui prétend que quelque prostatectomisé, quelque mammectomisée y ait retiré un quelconque bénéfice, en terme de mort statistique ? " rajouta le roi.
"Euh, pardon , dit le vassal , je voulais dire, de mort spécifique"
Les patients et nous mêmes, sommes-nous aptes à savoir si nous avons peur de la "mort spécifique", ou de la "mort tout court" ?
Lorsque nous nous levons le matin, si quelque test stupide pouvait nous dire que nous n'allons probablement pas mourir d'un accident d'avion (si nous ne prenions pas l'avion) , nous déchirerions notre billet, même si l'avion est le moyen le plus sûr, et que probablement, le moyen de transport de substitution est, statistiquement, plus risqué.
Les êtres ont peur de la mort totale. Notre spécificité de dépisteurs inquiets est de savoir si nous avons quelque responsabilité à influer sur leur mort, en la rendant plus ou moins "spécifique"
Lorsque nous prescrivons de l'insuline à un diabétique, nous pensons juste à reculer sa mort totale, même si chacun réagit avec sa "vie spécifique", en acceptant plus ou moins bien de partir en vacances avec sa trousse de seringues.
Quand le cardiologue nous dit : "il serait bon que monsieur X perde vingt kilos", de quelle vie parle-t'il ? D'une vie spécifique désormais dédiée à ne plus regarder les plats, et à attendre la mort totale après celle évidente du désir de bien manger ?
D'une vie au total rendue plus belle par le renoncement à ce qui peut faire partie de la vie intime de chacun ?
Quand nous mettons sous antidépresseur quelqu'un qui est en train de mourir spécifiquement de désespoir, lui rendons-nous une joie de vivre totale, spécifique, ou la joie de ne plus être triste pour lui rendre le droit de mourir d'autre chose ?
Médecins de la vie en génerale, nous sommes aussi les médecins de l'irrationnel du temps qui court. Les opportunistes de la mort inquiète l'ont bien compris, en nous demandant de bien vouloir tout prévoir. Les juristes, eux, sont plus sages, ils nous demandent spécifiquement d'être les prédicteurs de la vie commune, celle où la peur de mourir pour un rien effraie de plus en plus ceux qui n'acceptent pas la vie comme un tout, qu'ils soient malades, ou médecins.
Dr Bruno Lopez - TOULOUSE