La sortie par les issues de secours a toujours posé un problème aux gérants du music-hall, problème contemporain de la peur du feu, et de sa domestication. S?engueuler autour du cancer de la prostate, c?est un peu ça. Comment ne pas crier au feu au cours d?un incendie, dès la moindre étincelle, et se demander ensuite si la ruée vers des portes( mal calibrées) ne va pas engendrer plus de victimes que la combustion spontanée, lente et réversible de deux ou trois fauteuils d?orchestre. Bref, pourquoi inquiéter à propos d?une scène supposée d?horreur, qui permettrait ensuite aux spectateurs de continuer à bander jusqu?à la fin du film sans devoir , de plus, courir vers les toilettes au moment du suspense final ?
Cent pour cent des statistiques prouvent que le nombre de cancers de la prostate augmente en fréquence, et en précocité d?âge d?apparition. En même temps , si chaque mort est une tragédie, un million de morts ne sont plus qu?une statistique.
Cela est probablement dû au fait que nous vieillissons tous, et que la « pêche au symptôme » est devenue le sport favori de ligues inquiètes d?hypocondriaques, tristes mortels demandant qu?à la vie éternelle leur soit adjointe la promesse déontologique de leur éviter jusqu?à l?inévitable.
Lors d?une discussion acharnée sur le sujet, un ami médecin, dans sa soixante et unième année, en vient à me dire, à propos du dépistage : « de toute façon je n?en aurai pas le courage » . Autrement dit, pourquoi nous, mortels en puissance, nous transformer en vivants d?impuissance ?
Il me rappela étrangement ce généraliste, qui était venu à ma consultation d?hématologie pour une anémie inexpliquée. Le grand patron était parti chercher le matériel à biopsie osseuse. Le confrère avait son froc encore baissé, et se préparait courageusement à endurer le trépan que, jeune externe, j?étais supposé planter sous le regard goguenard du patron. Le temps de mettre nos gants, l?homme se sauva, et ceci sans même remonter son pantalon ( selon le témoignage de l?infirmière ). Probablement qu?il dût se dire : « si c? est grave, pourquoi endurer la piqûre , et si ça ne l?est pas, pourquoi devoir aussi l?endurer ? »
Cent pour cent des émasculateurs potentiels sont des hommes urologues, alors que la médecine se féminise à outrance. Nous détestons les urologues, et peut-être que beaucoup d?entre eux ne se font pas non plus dépister entre deux querelles sur la profanation de la prostate.
Et s?il n?existe pas beaucoup d?urologues femmes, c?est probablement parce que l?homme n?irait jamais montrer son simple appareil à une dame qui aurait envers ce dernier un projet plus que funeste.
C?est tout à fait regrettable. Nous retrouverions sur le sujet une plus grande sérénité.
Imaginons enfin, une seule seconde, que l?une de nos cons?urs médecins nous dise, en réunion : « je ne veux pas qu?on radiographie mes seins, quelle qu?en soit l?affection », nous serions probablement indignés qu?elle réagisse ainsi. Et nous ajouterions : « mais enfin, tu es médecin ! »
Certains esprits statisticiens auront la réflexion érectile de me retorquer qu?une femme sans sein peut faire encore beaucoup de choses qu?un homme ne peut plus faire sans ses nerfs érecteurs.
Il n?empêche, certains irréductibles du « primum non depistare » commenceraient à penser que, finalement, la mammographie de dépistage serait, elle aussi, à reconsidérer de par son agressivité. Il est cocasse que ce scrupule rétrospectif ne vienne qu?en renfort tardif de nos trouilles de machos se sauvant en courant, sans remonter nos pantalons.
Les hommes ne sont décidément pas des femmes comme les autres. Et il est probable que la cancer de la prostate chez la femme serait abordé avec moins de passion.
Simone de Beauvoir est morte trop jeune.
Dr Bruno Lopez - TOULOUSE