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Evidence-blues médecine



Dys - paraître

vous citer une phrase, retrouvée bêtement sur un mur de restaurant cambodgien, phrase rapportée à une divinité ancienne :
"Il souffrait des maladies de ses sujets plus que des siennes, car c'est la douleur du peuple qui fait la douleur des rois et non leur propre douleur".
La désaffection totale pour la médecine générale, retrouvée dans les listes pathétiques des postes d'internes non pourvus, n'est pas, pour aussi tentant que cela paraisse, uniquement liée à une hypothétique distorsion de notre mission, ou, comme cela a été aimablement mis en avant, à imputer à la bêtise et à l'obstination sacerdotale de nos aînés qui auraient tué la médecine générale en la rendant trop généreuse.
Dans notre monde d'hypercompétence, la logique et le bon sens font que l'hyperspécialisation est un gage d'émerveillement. Nous mêmes, généralistes, préférons acheter nos casseroles chez LE spécialiste de la casserole, même si le surcoût n'est pas pris en charge par nos mutuelles. Et même si notre ultime quincaillier du coin nous fait part de sa compétence, de sa formation permanente à l'art de bien sélectionner ses ustensiles, de sa conscience professionnelle, et de sa fatigue accumulée à recompter ses stocks soixante heures la semaine, nous ne rendrons grâce à sa qualité que lors de circonstances rares.

Ayant effectué hier un stage sur la "douleur chronique", j'ai été émerveillé de voir que quelques spécialistes, a priori curieux de tout, arrivaient à rechaper les "pneus crevés" de la médecine en générale. Les usés, les dégonflés, les dégommés, les ponctionnés, tous les déçus de la "santé for ever", tous ceux et celles qui avaient, lettre de médecin traitant ou pas, fait le parcours coordonné de la médecine orchestrée par le LEEM, ou la wonca, se retrouvaient à passer une heure devant le "restaurant douleur", un mélange coluchien de savants en blouses blanches, d'assistantes sociales et d'infirmières sophrologues. Cela s'appelait la prise en charge de la douleur chronique. Me remémorant mon stage en restaurant cambodgien, je me mis à penser, tout haut, que ces fonctionnaires de la douleur non rétribuée à l'acte n'étaient qu'en fait des médecins investis des moyens de faire, "dans l'hôpital", de la médecine générale. Leur devenir de princes de la douleur redevenait évident, dès lors que la société du dehors leur en donnait l'augure et les moyens. Un malheureux généraliste, "pivot" du système, mais point pavot de la douleur assistait, dans un film projeté, à la réunion des princes. Son heure fatiguée, sa lassitude caricaturalement opposée à la sérénité des princes algologues me firent comprendre la sagesse de nos jeunes à ne pas vouloir emprunter nos fourches caudines du dévouement bénévole, là où la société nous méprise à nous revalider dans la soumission béate. Ce type avait eu la fierté d'assister au "staff anti douleur", puis sûrement la lourde tâche de rejoindre ensuite à ses frais son cabinet de libéral un moment déserté. Pièce maîtresse, ou pièce cocue du système, il avait l'air si accablé.

Notre société a transformé ses princes déchus en esclaves auto-induits auto-promus. S'il n'y a plus, bientôt de généralistes, ni d' ours bruns dans les pyrénées, ce n'est point par l'inconduite des aînés. C'est simplement parce que ce que nous avons perdu en "compétence" dans la complexification des médecines, nous avons cru nous en venger en renonçant au dévouement. Les gens nous aiment surtout pour ça, pour le reste, il y a des princes spécialisés, puis des centres de la douleur. Et, si l'on regarde bien, , nous paraissons si mal, et si peu à l'aise dans nos nouveaux habits de "spécialistes" , ce qui s'appelle, en termes choisis, "dys"- paraître .

Dr Bruno Lopez - Fonsorbes


Derniére mise à jour : 27/09/05

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