Dominique Loiseau rapporte que son mari Bernard, lors de leur dernier week-end d'amoureux, s'arrête devant la porte de son collègue de la place des Vosges, Bernard Pacaud, et n'ose pas entrer dans le restaurant de son ami, car il ne s'estime pas assez bien habillé.
Il y retourne le lendemain, et là, il trouve porte close. " Tu vois, dit-il à sa femme, il arrive à fermer deux jours par semaine, voilà ce qu'on aurait dû faire...."
La veille de son suicide, alors qu'il venait de contracter un prêt à rembourser de cinquante mille euros par mois pour sept ans, il confie à un proche : " je n'ai eu qu'une poignée de clients, et encore, ils se sont fait monter une assiette de jambon et une bouteille d'au minérale dans leur chambre".
L'univers de la haute cuisine semble bien proche du nôtre, et l' Express décrit "par le menu" un "blues des chefs" qui peut tout aussi bien nous concerner. L'univers de la haute cuisine n'est fait que de labels, de toques obsessionelles compulsives, et d'appels à l'innovation. "Le cocktail au géranium",a , semble t'il, récolté un grand succès, alors que son concepteur lui-même en a avoué depuis la stupidité. Mais "les entreprises du restaurant" ont désormais des attachés de presse...
Il y est décrit aussi le stress des chefs, à servir des mets irréalisables dans le temps, et dans le prix, préétablis auprès de clients exigeants et d'observateurs intransigeants.
Il y est décrit le ballet des bouteilles qui iront traîner dans le coffre des contrôleurs Michelin afin de ne pas perdre un "macaron". La presse spécialisée n'auraît donc pas des testeurs débarrassés des conflits d'interêt...
Le rendement des bonnes tables est désormais quasiment proche de zéro . Chez Marc Meneau, avant qu'il ne consomme quoi que ce soit, chaque client coûte 60 euros , de par les charges, l'achat de produits au prix fort, la masse salariale et ce que les guides demandent désormais aux chefs d'exhiber....
Les grands chefs, tels nos maîtres de stages et promoteurs de FMC, ne tiennent le coup que par la diversification de leur industrie : hotellerie, publicité et conférences à l'étranger. La table n'est plus pour eux que source de soucis, charges et investissements sans retour.
Marc Meneau, pourtant propriétaire de l' ESPERANCE, ne tient qu'à coup de pilules somnifères . Et Gérard Besson, prés de la place des Vosges, qui déplore : " on se disait que le métier était dur, mais qu'à cinquante ans, on serait tranquille".....
Et pourtant, qui gagnerait parmi nous sa vie à bien faire constamment, correctement, son métier d'artisan médecin, qui osera avouer qu'une heure de transpiration à résoudre résolument son "cas du jour", comme nos maîtres queues pauffinent encore à grand peine leur plat du jour, est encore réalisable, sans rendre gorge auprès de ses
maîtres ?
Dr Bruno Lopez - Fonsorbes