C'est , Thierry, pour te changer les idées, l'histoire d'une brave dame que j'ai traitée durant vingt ans pour maux insignifiants. Je passais mon temps à la rassurer de tout, et de rien.
Il y a deux ans, un ovaire échographiquement douteux me fit l'adresser à mon chirurgien préferé, qui a parlé de kyste fonctionnel, disparu selon l'échographiste suivant. Ma chère patiente fut rassurée que son rassurologue favori puisse trouver plus savant mais tout aussi rassurant.
Elle m'a reconsulté six mois après, et j'ai traité durant quinze jours une constipation, qui était en fait une lame d'ascite sur néoplasie de l'ovaire . Elle est morte à l'issue d'un nouveau protocole tout aussi innovant que dégueulant.
Sa voisine, deux maisons à coté, eut vent de l'histoire, et me consulta bientôt. Et bien elle avait un néo colique développé à bas bruit, du fait qu'à soixante dix sept ans, je lui avais "refusé" l'année précédente sa coloscopie de controle, eu égard aux risques.
Nous avons, Thierry, tellement de forages en cours, tellement de gisements à inventorier, que, quelquefois, une mine, apparemment d'or, se révèle de TNT . Et qu'elle nous pète entre les doigts, nos petits doigts.
L'hopital est un réseau pensant, et le généraliste est un penseur résigné. Les hopitaux se concentrent et se spécialisent, les médecins généralistes se clairsement ou se regroupent. Le bénéfice du doute est plus rentable quand il est partagé. Nous, souvent, ne sommes pas partageurs.
Il n'y a pas plus grande solitude que celle de celui à qui on a donné trop de cartes dans une partie de plus en plus truquée. Ce n'est pas toi qui a abattu la dame, Thierry, ne l'oublie pas, tu as juste passé ton tour à plus diplomé que toi, dans ce poker -menteur.
Dr Bruno Lopez - Fonsorbes