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Indemnités journalières IJ, le côté obscur.

Au début de mon exercice professionnel, il y a environ 30 ans, un monsieur était venu me demander un arrêt de travail sans aucune raison médicale. A l'époque nous n'étions pas encore en zone de désertification médicale. Son argument essentiel était : si vous m'arrêtez, je vous prends comme médecin traitant. Ce monsieur avait des travaux à faire chez lui et son médecin habituel refusait de se plier à sa demande. J'ai fait de même et le brave homme est parti furieux en ajoutant qu'il se chargerait de faire ma réputation.
Le jour même il me rappela pour m'informer qu'un collègue l'avais accepté comme patient.. J'eus d'autre nouvelles plus tard par des patients habitant la commune qu'il desservait : il y exerçait le métier de facteur. Sa croisade avait fait sourire, il était connu comme le loup blanc et mon refus de lui donner un arrêt de travail avait été très bien vécu : je n'entraverai pas la bonne distribution du courrier.

Les dérives autour des arrêts de travail sont un véritable fléau. Tous les « manipulateurs» en usent quelque soit leur positionnement, employés, employeurs ou service public, cela fait partie des petites perversions ordinaires bien tentantes.
Ainsi côté employeur, un arrêt de travail qui ne nuit pas à l'activité de l'entreprise est une aubaine. Les employés se partagent le travail de l'absent et l'entreprise économise un salaire puisque la sécu paye les indemnités journalières.
Côté service public ça n'est pas mieux. Lors de mes études le professeur de socio-économie nous parlait des conséquences de la taille d'une patientèle sur le budget de l?État. Elle nous expliquait qu'un médecin ayant une grosse activité coûtait moins cher à la sécu qu'un médecin qui en avait une petite  : il est plus facile de refuser un arrêt de travail ou une prescription de complaisance quand on a trop de patients que quand on n'en a pas assez. En outre, un médecin ayant une grosse activité payera plus d'impôts à lui tout seul que deux médecins se partageant l'activité du premier. Il n'y a pas de petits profits, vive la désertification !
Autre petite perversion du service public que chaque médecin ne peut que remarquer dans son relevé d'activité, c'est le nombre d'étoiles le situant par rapport à ces collègues, il est impair, donc on ne peut pas être dans la moyenne, le moindre écart donne l'illusion que l'on est pas un « bon » docteur. En outre la comparaison du nombre d'IJ que vous avez prescrit par rapport aux collègues,se fait sur un territoire trop vaste pour que cela ait un sens. En Île de France, plus on s'éloigne de Paris, plus il y a d'arrêts de travail. Logique lorsqu'on l'on a une gastro-entérite et que l'on a 1 heure 30 de trajet pour rejoindre son poste de travail, on reste chez soi, il n'y a pas suffisamment de vespasiennes sur le trajet et celles qui sont propres sont payantes, l'argent n'a pas d'odeur. Lorsque l'on habite à 10 mn de son lieu de travail, on peut prendre le risque d'aller travailler.

Il y a donc beaucoup de choses à modifier en terme de réduction du coût des arrêts de travail. Un employeur n'a pas à payer les IJ à la place de la sécu, par contre il devrait avoir à reverser le salaire économisé aux personnes qui ont assuré tout ou partie du travail de l'absent (à ses employés, à lui même ou à son conjoint.. et aux urssaf ou autres organismes équivalents pour les charges attenantes).
Un surcroit important d'IJ tient aussi dans les délais de rendez vous qui prolongent sensiblement les arrêts. Un délai de 3 semaines pour un rendez vous kiné, spécialiste, radiologique ou médecine du travail, c'est autant d'IJ en plus. Pour peu que la kiné ne soit possible qu?après bilan radiologique et avis spécialisé, on rentre dans l'arrêt longue durée avec « accessoirement » pour le patient une baisse de ses indemnités. La désertification est donc ici contre performante, la proposition d'un numerus clausus régional est inadaptée, elle amènera plus de médecins à Strasbourg ou à Reims, mais pas plus à Moussey ou à Rumilly les Vaux. Le numerus clausus, pour être efficient, doit être ciblé à l'échelle humaine c'est à dire départementale.

Bien sûr les médecins sont responsables des IJ qu'ils prescrivent, mais à mon niveau de médecin généraliste, l'impression en pratique quotidienne est celle d'une inertie, d'un bourbier qui ne m'appartient pas et qui ne laisse pas beaucoup d'alternatives. Un article de temps en temps et la sympathie de beaucoup de collègues, qu'ils soient médecins du travail, médecins sécu ou confrères spécialistes, me font oublier allègrement le côté obscur du système.



Dr Jean-Paul Gervaisot

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Derniére mise à jour : 02/09/18

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