Le nouveau ROSP est un excellent miroir sans teint, la CPAM nous offre un moyen de regarder notre travail versus ce que le ministère espère de nous comme médecin idéal, mais il nous permet aussi d'observer le niveau critique des personnes qui le mettent en place, et ça, elles ne le savent pas encore.
Cette année, deux items m'ont particulièrement interpellé :
Le premier, c'est la prime aux médecins formant de futurs étudiants. J'ai suivi un stage de formateur en vue de prendre en charge un ou deux étudiants par an. A priori, et le temps semble me donner raison, je ne serai pas éligible pour recevoir un jour un étudiant en médecine. En effet, le relevé d'activité professionnel est indispensable dans le dossier et un médecin qui voit trop de monde n'est pas éligible car ne disposant pas d'assez de temps pour accompagner l'étudiant.
Un collègue voisin travaille un jour sur deux, soit un peu plus de 40 heures par semaine, il a la même densité de travail par jour ouvrable que moi. Il a des étudiants à charge. Le relevé d'activité professionnelle n'est pas une référence pertinente.
Notre ministre a insisté sur le fait que les médecins libéraux devaient mieux s'organiser pour effectuer plus d'actes, particulièrement en période d'épidémie. Les zones de désertification médicales sont d'excellentes zones d'apprentissage en terme d'organisation, celui qui est mal organisé coule ou plutôt coulera plus vite que celui qui saura optimiser sa journée de travail et qui saura se préserver.
N'oublions pas qu'en zone de désertification, recevoir des étudiants, c'est peut être recevoir un jour un futur associé. Si l'on reprend la logique du ROSP et si l'on veut absolument avoir la possibilité d?accueillir des étudiants, il faut donc réduire son activité, c'est à dire à dire les plages horaires. On travaille moins, on aggrave la carence locale en soins, mais on rentre dans les clous et on a le droit à son étudiant avec en plus une prime.
"Étonnant vous trouvez pas" dirait le regretté Pierre Desproges.
Un autre item intéressant du ROSP est l'accompagnement des patients, accompagnement que l'on pourrait résumer ainsi en ville :
«Allô cher collègue, j'ai devant moi une patiente qui aurait besoin d'une consultation de dermatologie, pourriez vous le prendre rapidement ? »
« Bien sur, mais qu'elle passe demain»
« Parfait, elle n'est pas très loin de chez vous et la commune met un petit car à disposition pour les personnes âgées, je les contacte, elle sera à votre rendez vous demain matin »
C'est pas mal quand on habite Créteil ou Paris, mais quand on habite en Seine et Marne, c'est pas tout à fait le même texte dès que l'on a affaire à des personnes dépendantes.
A Coubert ça donne ça :
« Bonjour monsieur Smurtz, sale bouton sur votre nez. Il n 'y a plus de dermatologue sur le secteur depuis le 1er janvier, je vais essayer de vous trouver quelqu'un pas trop loin. Il y en a à Combs mais il faudra aller en bus jusqu'à Brie puis prendre une correspondance vers Combs. Sinon il y a Boussy St Antoine, Brunoy ou Ozoir la Ferrière. Entre les correspondances et la circulation il faut compter minimum une heure voire deux heures. Avec votre canne, ça risque d'être compliqué. Souvenez vous quand vous êtes allé voir le cardiologue à Combs il y a 5 ans, d'ailleurs depuis vous ne voulez plus y aller. Il n'y a pas un voisin qui pourrait vous y amener ?
OK puisque vous le souhaitez, je téléphone ce soir à votre fils pour connaître ses disponibilités »
« Allo mr Smurts fils, votre père m'a demandé de vous appeler. Pourriez vous accompagner votre père chez un dermatologue en région parisienne ?
Non il n'y a pas plus prés !
Non le taxi ambulance ne sera pas pris en charge par la sécurité sociale !
Non sa mutuelle ne prendra pas non plus en charge le transport !
Oui c'est indispensable qu'il voit un dermatologue.
Oui si vous insistez, je peux prendre le rendez vous mais il me faut vos disponibilités.
Vous ne les connaissez pas ? rappelez moi quand vous les aurez »
«Allô oui, ah vous êtes le fils de mr Smurts, on s'est eu au téléphone le mois dernier je crois.
Vous avez un voisin à qui la sécurité sociale a payé le VSL, mais il est à 100%, c'est pas le cas de votre père.
Oui votre père est vieux, mais ça n'ouvre pas obligatoirement au 100%
Je suis en consultation, (on va pas y passer la nuit), donnez moi vos disponibilités ! Vous ne savez pas..
OK, voyez avec les voisins de votre père et rappelez moi. »
« Allô bonjour, merci de me rappelez monsieur Smurtz,
Oui votre père a un sale bouton sur le nez,
Finalement c'est vous qui l?emmenez,
Oui oui c'est un scandale,
Bon, quel jour ? Ok après vos vacances..
Vous avez pris une RTT le 15 du mois prochain, d'accord je trouve un spécialiste et je vous recontacte »
« Allô monsieur Smurtz, j'ai votre rendez vous, Dr Machin à St Maur, 20 kms mais prévoyez une bonne heure et demi vu l'horaire.
Non je ne le connais pas, mais on fait avec ce qu'on trouve !
J'allais oublier, il est en dépassement d'honoraires.
Oui c'est un scandale, mais faut bien qu'il paye son loyer, si prés de Paris, ça rigole pas !
Non Non il n'y a pas plus prés pour cette date!
Non le taxi ambulance ne sera pas pris en charge par la sécurité sociale !
Non sa mutuelle ne prendra pas non plus en charge !
Ah, vous voulez que je prenne un rendez à l'hôpital publique, pas de problème
Avec le meilleur je suppose, pas de problème, vous me le trouvez, vous me trouvez ses coordonnées, mais les coordonnées, ça ne peut pas être une émission sur FR3 ou TF1, donc trouvez moi ses coordonnées et je lui faxerai un courrier parce que c'est comme ça que ça se passe à l'Assistance publique puis vous attendrez qu'il vous réponde »
Finalement pour le ROSP, je crois que je vais m'installer en ville ou sur la côte au pied d'un hôpital, ça sera plus simple pour aller aux réunions de concertation, pour les rendez vous, pour accueillir des étudiants et pour toucher les primes à la désertification.
Dr Jean-Paul Gervaisot