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L'Etat et la gestion des arrêts de travail: Faites ce que j'dis, pas ce que j'fais.

Il y a quelques années un de mes patients travaillant dans une institution publique connue obtient une mutation dans son département prés de chez lui.
Manque de chance, il se retrouve dans un service tenu de main de fer par son ex belle mère. La séparation avec sa fille ayant été houleuse et l'ex gendre ayant quelques petites choses à se faire pardonner, la mutation tourne à l'expédition punitive.
Je vois donc ce monsieur d'une santé mentale fragile consultant pour angoisses et insomnies rapportées à cette vendetta professionnelle. Le problème relationnel, bien établi, fait vite le tour de la maison : arrêts de travail successifs, demandes de mutation sans suite, interventions du médecin du travail pour appuyer le changement de poste, convocation du médecin conseil, appui du médecin conseil pour accélérer la mutation..
Tout ce petit monde bien mis en ordre de bataille, le changement de service nécessitera deux années pour être effectif. Le patient ayant été déclaré inapte au poste par le médecin de travail, il y aura donc eu environ deux ans d'arrêt de travail dans une institution qui demande aux médecins de faire le moins d'arrêts de travail possibles. Un divorce, ça va plus vite.

Un de mes patients se fait renverser par une voiture, il circule en moto et doit faire tous les jours plus d'une centaine de kilomètres aller et retour pour travailler. C'est un fonctionnaire d?État, il travaille aux antipodes en région parisienne. Sa blessure ne lui permet plus d'aller travailler en moto et guère plus d'aller à l'autre bout de Paris en RER puis métro puis RER puis bus, soit 2 heures assis avec un peu de chance. La commission médicale le déclare inapte au poste, en attente d'une mutation dans Paris intra-muros. Trouver un poste vacant va demander un an. Il lui faudra encore attendre l'accord de la commission médicale, environ 3 mois, pour pouvoir occuper le poste. Un an et demi à faire le planton à la maison.

Encore une autre institution de la république. Ma patiente est professeur remplaçante. Une certaine année, elle ne se voit proposer aucun poste en septembre. Elle s?inquiète, demande pourquoi, on lui annonce qu'elle a été oubliée dans les effectifs pour le trimestre (à ses dires, mais il n'y a aucune raison de ne pas la croire). Elle va donc rester chez elle jusqu'en janvier, à se morfondre. Rien n'est prévu dans cette institution pour corriger ce genre d'erreur.
Je ne vais pas me plaindre, il n'y a pas eu à faire d'arrêt de travail, ils font leur cuisine en interne.

Une petite gâterie, ça s'invente pas:. Un de mes patients, conducteur de bus la nuit, se fait agresser par un voyageur. C'est pas la première fois, c'est régulier et la coupe est pleine. Il est vif et ce jour là il ne se laisse pas faire. Il est déclaré inapte au poste et considéré comme potentiellement trop réactif vis à vis de futurs agresseurs..
Il va être accompagné par une cellule de crise dans l'institution, puis confié à un psychiatre libéral. Au bout de deux ans d'inaptitude et d'arrêts de travail, les feux se mettent au vert. Il peut reprendre, mais il doit passer devant le médecin du travail. Il vient d'y passer, et c'est pas fini !...
A noter que sa femme fait le même travail. Elle a subi des menaces de mort par un individu coutumier du fait. Elle est affectée à un dépôt où il faut prévoir de changer le bus derrière elle, car tout le monde ne s'assoit pas sur un siège occupé au préalable par une femme. Elle a aussi été mise en inaptitude.
L'entreprise ne prévoit pas encore des bus avec des roues roses quand une femme conduit et des bleues quand un homme conduit. Elle devrait aussi prévoir un panneau « conducteur méchant » sur certains bus. Il suffirait de demander.
Arrêts de travail bien sûr.

Tous les médecins que nous sommes pourraient raconter des histoires similaires, on en a tous en cours, c'est le risque « surtout pas de vague » et  la procédure administrative. Le projet politique le plus répandu est d'en écrémer une bonne partie parce qu'ils sont trop nombreux. Pourtant ceux que je vois bossent, ils bossent de plus en plus, sauf procédure administrative.

En terme d'écrémage, je verrai bien la suppression des commissions médicales, nos fonctionnaires retrouveraient plus rapidement leurs postes au grand bonheur des usagers.
D'autres professionnels auraient-ils des idées, déplacer nos institutions hors de Paris pour les mettre sur de grands axes routiers, éviter de muter ou d'engager du personnel trop loin de son habitat, lutter contre le communautariste religieux, ethnique, politique, dénoncer contre la réunionite, les restructurations systématiques,les commissions abusives: en résumé tout ce qui épuise et génère des arrêts de travail.

Une petite commission pour réorganiser tout ça en respectant les procédures..

Dernière minute, autre institution.
Un de mes patients devait reprendre ce matin. Visite obligatoire avec le médecin du travail. Le médecin du travail est malade, il s'est « cassé une jambe ». Il y aura un remplaçant début janvier... Le certificat de reprise du médecin traitant : insuffisant.
Il n'y a pas que les enveloppes qui sont timbrées.

Dr Jean-Paul Gervaisot

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Derniére mise à jour : 15/12/16

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