Un de mes patients vient me consulter, il a un lymphome splénique non évolutif. Cet hiver, il a été hospitalisé en réanimation pour un SDRA dû à la grippe. S'y sont greffées une infection à staphylocoques et bien d'autres complications qui font le quotidien des personnes hospitalisées en réanimation plusieurs semaines.
Il s'en est sorti avec plusieurs mois d'hospitalisation et un florilège de traitements antibiotiques parfaitement justifiés.
Il consulte en août pour une cystite. L'ECBU ramène un germe multirésistant, colimycine sensible. Je traite , tout semble rentrer dans l'ordre.
Il revient fin octobre avec une nouvelle cystite. Je le mets sous une bithérapie en attendant les résultats de l'ECBU. La culture ramène un germe multirésistant à tout ce que l'on peut trouver en ville comme antibiotique.
Il est hospitalisé, et y complète sa cystite par une épididymite et un choc septique. Il est en de bonnes mains, pas de souci.
Je le revois, c'est un monsieur qui a l'esprit critique. Il me dit avec un sourire en coin : « je leur ai demandé pourquoi j'ai fait ça, ils m'ont répondu que j'avais eu trop d'antibiotiques ».
C'était effectivement pas la bonne formulation, il l'a interprétée comme insidieuse. Chacun a fait ce qu'il devait faire, sauf peut-être mon patient qui aurait dû se faire vacciner contre la grippe . Lui s'attendait à une réponse du genre : « C'est votre lymphome qui diminue votre réponse immunitaire ».
Cette petite histoire qui se termine bien est le reflet de la complexité de notre société et de la désinformation qui y circule, ici vaccins dangereux, antibiotiques mal prescrits.
La sécurité sociale va faire une campagne pour réduire les prescriptions abusives d'antibiotiques. Nous les généralistes seront les principaux visés car nous sommes « au front ». Nous prescrivons trop souvent inutilement des antibiotiques, c'est vrai. Mais quand on regarde les études concernant les problématiques de résistance aux antibiotiques, on constate que la très grande majorité des prescriptions génératrices de résistance microbienne se fait à l'hôpital. Il y a de fortes chances que ces prescriptions soient justifiées, elles touchent des patients fragilisés qui guérissent mal et génèrent des souches dangereuses.
La médecine de ville est peu concernée par ce problème, mais la résistance aux antibiotiques, c'est comme les mutations virales, l'effet de serre ou les déchets nucléaires: il faut juste que ça n'arrive pas, et statistiquement ça ne peut qu'arriver. Le rapport bénéfice/risque doit être positif , et des progrès doivent être fait avant « la catastrophe ».
Mais c'est quoi les progrès : assimiler l'antibiothérapie à de l'acharnement thérapeutique pour les patients en probable fin de vie, retirer la prescription d?antibiotiques des mains des médecins de ville alors que les souches résistances ne viennent pas de leurs patients.
Faire systématiques des examens complémentaires avant de prescrire, mais c'est compliqué et dangereux, les laboratoires d'analyse et les services de radiologie ne sont pas accessibles 24h/24. On ne va pas demander aux services d'urgence de surveiller toutes les suspicions de pyélonéphrite ou de pneumopathies à risque, ou tous les terrains à haut risque (chimio, IR, IC, prothèse valvulaires etc..) en attente de résultats et de traitement justifié.
La campagne de sécurité sociale risque donc d'être en canon de fusil, vers quelques cibles très limitées. Pour être vraiment utile, elle devrait inciter aux solutions alternatives, préventives, en expliquant pourquoi ces solutions vont permettre d'éviter beaucoup de prescriptions utiles ou inutiles d'antibiotiques.
Ces solutions sont les vaccinations larga manu, beaucoup de caisses principales autres que la « sécu » ne proposent pas le vaccin de la grippe gratuit. La désinformation vaccinale devrait faire l'objet de poursuite par les victimes, on indemnise bien l?aléa thérapeutique infiniment moins fréquent. Le port de masque en période d'épidémie par les personnes malades ou fragiles devrait être promu.
Les campagnes anti-tabac devraient aussi être associées au risque infectieux et à la prise accrue d'antibiotiques pour les consommateurs comme pour l'entourage. Idem pour le diabète mal contrôlé.
Au niveau industriel les « open spaces », espaces de travail décloisonnés, devraient être interdits purement et simplement compte tenu de toutes les pathologies qu'ils favorisent, infectieuses comme psychiatriques.
On devrait favoriser l'embauche de gens de proximité et l'installation d'entreprises à distance des zones polluées car depuis quelques années on voit en région parisienne et dans les grandes agglomérations des personnes en bonne santé présenter des problèmes pulmonaires liés à la pollution. Les surinfections en font partie. Les grand Paris doit être conçu pour éloigner les gens de l'île de France, pas pour les en rapprocher.
Reste à la recherche médicale à trouver des alternatives aux antibiothérapies, même si elles ne sont pas rentables pour les laboratoires.
Finalement lutter contre les causes de prescriptions d'antibiotiques, ça pourrait faire partie d'un programme présidentiel.
Dr Jean-Paul Gervaisot