Le mois sans tabac revient et ensuite je l'espère, le mois sans alcool va nous être proposé. Ces périodes tests ont surtout pour objectif de permettre aux consommateurs de constater leur capacité ou leur incapacité à contrôler l'usage de ces produits.
L'objectif n'est pas de mettre à mal ceux qui vivent de ces productions, elles font partie de notre histoire collective, de notre culture. La diversité du patrimoine culturel humanitaire fait que des produits sont considérés comme licites ou illicites selon le pays où nous nous trouvons. Cette variabilité régionale du caractère légal montre bien que ce ne sont pas les produits eux mêmes qui sont en cause mais le mésusage qui en sont fait.
La notion de mésusage est elle même une notion très culturelle. Ce peut être l'usage d'un produit illégal, la surconsommation illégale d'un produit légal . Ce peut être un usage psychotrope et non un usage ludique, hédonique ou social. Ce peut être un usage dangereux pour autrui. Ce peut être un usage toxique ou addictif, alors dangereux pour soi-même, pour sa santé.
Dans ce dernier domaine, la santé, la logique voudrait qu'il n'y ait pas de place pour grand chose car ces produits ou ces comportements abîment le corps. En d'autres termes ils nuisent à la santé physique et réduisent l?espérance de vie.
Jusqu'à une date très récente la priorité culturelle, épaulée par le corps médical, était de vivre le plus longtemps possible coûte que coûte. L'idée de l'euthanasie a mis du temps à s'inscrire dans nos esprits. Aujourd'hui la santé se définie par un état de bien physique et psychique. Mais l'intérêt porté par nos patients à ces produits fait que le bien être psychique qui leur apporte va à l'encontre de leur bien être physique.
En terme d'usage de produits potentiellement dangereux, certaines prises de positions sont vécues comme excessives voire dictatoriales. Nous le voyons pour l'alimentaire, les psychotropes licites ou illicites, la cyberconsommation. Cela tient au fait que la réalité d'une certaine vie est éludée. En effet nous sommes habités par le simple fait de vivre, ce que les grecs anciens appelaient « la zoé », cette vie qui habite toutes les espèces, ce truc instable qui aime se sentir en sécurité mais qui a besoin de « butiner ». La vie sociale, la façon de vivre en société, ils appelaient cela le « bios ». Le « bios » ne contrôle pas « la zoé » ou plus exactement « la zoé » donne ses limites aux dictas du « bios ».
« La zoé » se rapproche beaucoup de la Psyché de G C Jung, c'est la résultante de l'interaction entre le cerveau, ses afférences sensorielles et les réponses qu'il y donne. Le système nerveux central est le support fonctionnel d'un bout de « zoé » défini ici à partir du mot grec : notre langue n'a pas de mot équivalent. Notre mot « la vie », définie des choses très différentes, le recours à un terme plus précis déjà existant nous permet de mieux structurer notre réflexion. Cette zoé donc comprend le champ de conscience, les monoamines cérébrales et les praxies. Elle évolue avec la croissance, entre autre sous l'effet des hormones sexuelles puis sous l'effet du vieillissement. Le « bios » c'est toutes les afférences extérieures, les écosystèmes, famille, culture, tout ce qui arrive et que l'individu va repérer une fois qu'il a constitué son « moi ».
Satisfaire « la zoé » n'est pas toujours en harmonie avec satisfaire « le bios ». C?est « je fumerais bien quelque chose, tabac cannabis par exemple, ou je boirais bien un soda ou un verre d'alcool mais « le bios » me dit que c'est pas bon pour la santé et/ou c'est illégal.
Les mécanismes de satisfaction de« la zoé » s'articulent beaucoup autour des fonctions primaires fondamentales : manger, boire, respirer, uriner, déféquer (besoin/plaisir satisfaction). Sa cohabitation avec « le bios » la fait évoluer, lui amène de la couleur et donc une multiplications de ses moyens de satisfaction mais aussi d?insatisfaction. Au niveau cortical, la satisfaction de « la zoé » correspond au retour à un fonctionnement assertorique du cerveau, c'est à dire à la dissolution de la prise de conscience engendrée par une afférence sensorielle stimulante type adrénergique.
Du fait de son lien avec le cerveau la zoé évolue dès l?embryogenèse et jusqu'à la fin de vie d'un individu. Elle se traduit pour l'individu par de la sensation sous toutes ses formes. Et surtout, élément fondamental, elle précède toujours le bios, il n'y pas de bios sans zoé. En permanence, la vie au sens large d'un individu sera constituée d'une cohabitation entre la zoé et le bios. L'émotionnel représenté par la zoé précédera toujours le rationnel ou la règle sociale représentés par le bios. Chaque évolution de la zoé ( naissance, adolescence, sénescence ..) se traduira par des changements de sensibilité plus ou moins conflictuels avec le bios. Les règles sociales ou la raison devront se restructurer autour de la zoé, l'inverse est physiologiquement impossible, la zoé ne se structure pas autour du bios. Par contre elle peut intégrer les éléments du bios (modification du schéma corporel, libido au sens Jungien du terme, apprentissage satisfaisant).
A l'image de l'euthanasie qui est le meilleur compromis acceptable entre la survie à tout pris (bios) et la mort inévitable (zoé), « l'euzoé » est le meilleur compromis entre notre cerveau émotionnel et notre environnement (règles, lois, culture).
Les pathologies rapportées à l'addictologie s'en déclinent facilement :
Le parasitage des récepteurs monoaminergiques par des molécules iatrogènes générant un accès direct au soulagement, à la satisfaction ou au plaisir via la zoé, occultant le bios est addictogène. Le cerveau se satisfait seul en toute indépendance du milieu environ. Cela se traduit par une absence de réponses constructives par l'individu aux stimuli du bios environnant.
La même démarche peut se faire de façon un peu plus élaborée avec une praxie exclusive (troubles du comportement alimentaire, jeux, sports, cyberaddictions)
Les TDAH peuvent correspondre à une multiplication des pôles de prise de conscience corticale (zoé) sans retour suffisant à un mode satisfaction/repos (assertorisme), générant ainsi des interactions permanentes, instables et incessantes avec le bios.
Cela peut paraître abstrait mais c'est très pratique pour comprendre beaucoup de choses :
En terme de soins « psy », tout ce qui consiste à ne travailler que sur le bios est voué à l'échec, au conflit, au transfert (conversions névrotiques).
Les médicaments modifient la zoé . Les psychothérapies au sens large travaillent sur la zoé et ses relations avec le bios. L'association des deux est donc plus efficace que chacune d'elles séparément.
A défaut d'une connaissance suffisante et plus précisément d'une modélisation du fonctionnement du cerveau, donc à défaut de support logique, nous établissons la notion de pathologique en psychiatrie à partir des dysfonctionnements de l'individu avec un bios type qui inclus l'éducation, la culture, l'environnement. La grille de tri n'est pas la même en Europe qu'en Chine, en Russie ou aux USA. Le DSM 5 se veut une classification des pathologies, mais le bios rentre beaucoup en compte dans ses critères et il est impossible de faire autrement. Un individu avec une zoé normale mais avec une relation compliquée avec les critères normatifs du DSM 5 peut parfaitement être considéré comme malade mental. Certaines pathologies définies par le DMS 5 peuvent très bien être des adaptations de la zoé à l '« écobios » dans lequel il gravite.
Nous constatons en addictologie que des produits psychotropes peuvent être considérés dans un pays légaux et dans un autre illégaux (effet zoé identique mais bios « culturels » opposés). Le niveau de réflexion, le bios, n'est donc pas le bon.
Autre application pratique : les enfants différents et le milieu scolaire. Le cadre (bios) n'est pas adapté, l'enfant va donc soit être agité, violent, soit en repli. Dans tous les cas, c'est une perte pour la société car la différence bien utilisée est toujours un avantage pour le groupe. Si cette différence est traitée par la société comme une déviance à la norme (bios), ces personnes risquent de se retrouver mises à l'écart ou « reclassés », SDF, enfermées (prisons), psychiatrisées ou médicalisées, (Pierre Bourdieu, Howard Becker).
En terme de classification des pathologies comportementales, introduire la notion de zoé et bios rapproche des spécialités médicales comme la neurologie et la psychiatrie, deux disciplines touchant le même organe et avec des nosographies anormalement distinctes.
Les pathologies spécifiquement zoé vont être les pathologies touchant la structure corticale.
Les patients affectés ont pour point commun de n'avoir aucun recul critique envers leur particularisme (assertorisme) . Les principaux symptômes sont dus aux interactions de leur zoé (eux même, « moi ») avec le bios.
Ces pathologies sont :
soit congénitales, génétiques par exemple. Ce sont les différentes formes d'autisme, les malformations congénitales ou les déficits enzymatiques type hypothyroidie néonatale non dépistée.
Soit acquises ; les anosognosies, les démences d'involution où le cerveau pensant perd une partie de lui même.
Soit élaboratives. Les psychoses sont aussi du registre de la zoé. Elles semblent correspondre à une capacité qu'à le cerveau d'intégrer comme « moi » des éléments indépendants, sans lien structurel cortical suffisant pour créer une cohérence entre eux, et n'autorisant pas la capacité d'un recul critique par le patient. L?étymologie du terme schizophrénie en est la parfaite illustration.
Les troubles bipolaires où on retrouve une dissociation irrationnelle entre l'humeur et l'échobios de l'individu.
Les TDAH pourraient faire partie de ce groupe de pathologie sous réserve que les causes en soit une difficulté pour certains neurones corticaux à se dépolariser normalement ( anomalies pouvant toucher la substance grise ou le système limbique ou les structures adrénergiques). Une hyperstimulation adrénergique multi sensorielle due au bios donnerait les mêmes symptômes mais alors nous serions dans le registre du bios. Les deux formes pourraient parfaitement exister (TDAH primitif ou secondaire).
Le fonctionnement du cerveau, donc de la zoé, se fait sur un mode « perception » qui se traduit par des phénomènes d'hyperpolarisation neuronale suivies par une disparition de ces hyperpolarisations. La disparition de ces hyperpolarisations passe par le biais d'une prise de conscience d'un stimulus extérieur, une diffusion et une dilution de cette hyperpolarisation puis une dissolution de la prise de conscience. En terme de conscience le mécanisme est un mécanisme du type besoin/satisfaction ou ou douleur/soulagement. L'action est soit une action motrice soit un phénomène de pensée, la pensée se présentant comme le versant moteur du champ de conscience qui lui est un organe sensoriel.
Les autres possibilités d'expression de la zoé sont viscérales parasympathiques et hormonales axe hypothalamo-hypophysaire.
Par essence il n'y a pas de pathologies bios mais des incongruences entre le bios et les capacités d'adaptation et d'évolution de la zoé. Les signes de souffrance de la zoé et leurs aspects visibles dans les comportements engendrés par l?agression du bios sur une Zoé sont :
Les troubles anxieux.
Les troubles névrotiques et les conversions névrotiques de l'anxiété ou de l'angoisse : replis, attaques de panique, troubles du spectre autistique en général.
Les dépressions.
Les traumatismes psychologiques.
Les comportements addictifs de type replis (Usages sédatifs).
Les TDA sans hyperactivité seraient de ce registre.
Les passages à une activité motrice liée ou non à un phénomène de pensée (l'Agir) ne sont pas des signes de souffrance de la zoé mais son fonctionnement normal. Ils ont pour objet d'aboutir à un soulagement ou à une satisfaction (douleur ou besoin/satisfaction) quelque soit sa nature :
réponses adaptées au bios
réponses inadaptées au bios de type auto ou hétéro-agression, comportement psychopathique.
Conversions névrotiques dans l'agir sur une zoé pathologique (tics, hypocondrie, somatisations, phobies, passages à l'acte divers).
L'interdiction est une souffrance pour la zoé. La voie éducative la plus physiologique est donc de créer de l'Agir en aval du conflit, c'est à dire de donner des solutions. C'est le principe de l'éducation mais c'est aussi ce qui est utilisé par les groupes de récupération (Sectes, radicalisme, populisme).
En terme de mois sans alcool, sans tabac, ou sans une quelconque drogue ou un quelconque comportement addictif, l'interdiction est quelque chose de contre productif. Il va à l'encontre d'acquis de la zoé via le bios, acquis qui lui donnent « de la couleur ». Le travail de l'addictologue et du thérapeute plus largement va être de l'éclairer sur la réalité de son usage, (harmonie culturelle, outil social, anxiolyse, replis, défonce) et des risques encourus (santé, liens familiaux et sociaux, amende, permis de conduire). Cette démarche se fait au niveau individuel mais aussi au niveau du groupe. Les personnes qui vendent ces produits doivent aussi participer à cet éclairage du patient. Le conflit ou la mauvaise compréhension entre ces deux acteurs seront contre productifs. Mettre en exergue un côté morbide des produits qui finalement ne concernera pas la majorité d'entre eux ou ne les concerneront que tardivement (public jeune) revient à opposer le bios à la zoé. Tout individu est prêt à perdre quelques mois de sa vie pour son bien être ou son plaisir.
Dr Jean-Paul Gervaisot