Au cours des journées de PharmacoVigilance, le Professeur C. Libersa (Lille) a discuté les principales classes pharmacologiques révélant ou aggravant une insuffisance cardiaque.
Au sein des antimitotiques, on retrouve, outre les anthracyclines (doxorubicine Adriblastine°, daunorubicine Cérubidine° Daunoxone°… à l’origine d’insuffisances cardiaques aiguës ou tardives), le cyclophosphamide Endoxan° (responsable de cardiotoxicité aiguë, dose-dépendante), l’ifosphamide Holoxan° (effet indésirable plus rare expliqué par un effet de fragmentation des fibres myocardiques), le cisplatine (effet plus rare non dose-dépendant), la mitomycine ou encore l’antimétabolite 5 FU (responsable au cours des premières administrations de choc cardiogénique ou d’insuffisance cardiaque isolée, de mécanisme d’action discuté). Dans cette classe, on peut encore citer les poisons du fuseau (comme les alcaloïdes de la pervenche) ou le trastuzumab (Herceptin°) (anticorps monoclonal) dirigé contre le facteur de croissance épidermique humain.
Les immunomodulateurs sont la deuxième classe imputée. Au sein des interférons, il s’agit surtout de l’interféron alpha déterminant des troubles du rythme, une insuffisance coronaire ou une cardiomyopathie dilatée dans le cadre d’un syndrome pseudogrippal (effet dépendant de la dose et de l’âge). L’interleukine 2 détermine cet effet indésirable dose-dépendant chez 5 % des malades par altération de la fonction diastolique
Le rôle des antiinflammatoires est plus connu. Les corticoïdes faciliteraient le développement d’un anévrisme ventriculaire post-infarctus. Leur effet sur la fonction cardiaque s’explique par l’inhibition de la synthèse des prostaglandines mais aussi par un effet minéralocorticoïde avec rétention hydrosaline, une action centrale avec majoration de l’appétence pour le sel et une activation des PPAR. Les antiinflammatoires non stéroïdiens (les « classiques » mais aussi les coxibs) multiplient par un facteur de 2 à 9 le risque de décompensation cardiaque. En inhibant la COX, ils déterminent une vasoconstriction de l’artériole efférente et une diminution de la filtration glomérulaire. Cet effet indésirable est plus marqué chez le sujet âgé, en cas d’insuffisance rénale ou de cardiomyopathie sous-jacentes. En pratique, on doit surveiller sous tout antiinflammatoire, une éventuelle prise de poids et la fonction rénale.
Les antiarythmiques peuvent révéler une insuffisance cardiaque par des mécanismes variés : classe I (quinidine et dérivés) par le bloc des canaux sodiques, les bêta-bloquants par l’antagonisme des récepteurs bêta-adrénergiques. L’amiodarone (Cordarone°) reste sans doute l’antiarythmique le moins pourvoyeur de ce type d’effet indésirable malgré la possibilité d’induction de choc cardiogénique après administration intraveineuse. Au sein des anticalciques, le risque est plus marqué avec les bradycardisants (vérapamil Isoptine°, diltiazem Tildiem°) qu’avec les dihydropyridines (nifédipine Adalate° et dérivés).
De nombreux autres médicaments s’avèrent aussi pourvoyeurs d’insuffisance cardiaque : les antidépresseurs tricycliques, les neuroleptiques phénothiazines (mais pas les butyrophénones ; par blocage de la calmoduline), les sympathomimétiques (bêta2-stimulants, anorexigènes), l’insuline et les nouveaux hypoglycémiants (glitazones agonistes des PPAR pioglitazone Actos°, rosiglitazone Avendia°), les alpha-bloquants (qui favorisent l’apoptose et le clivage des cardiomyocytes)... Plus récemment, on a mis en évidence ce type d’effet indésirable avec les anti-TNF alpha (infliximab Rémicade°, étanercept Enbrel°).
En pratique, il s’agit souvent de sujets âgés, polymédicamentés, souvent à la fonction rénale limite. Chez ces malades, toute prescription doit être prudente, réfléchie et souvent réévaluée
J-L.Montastruc